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Le blog de Bruno LACHNITT

Le sens du péché...

12 Décembre 2020 , Rédigé par Bruno LACHNITT

Le péché est une entaille à l’Alliance, une rupture de l’Alliance. Tout au long de la Bible, c’est bien de cela qu’il est question quand le Peuple élu se détourne de Celui qui l’a choisi du milieu des nations, se tourne vers les idoles, s’écarte du chemin de la Loi.

Du coup, on a malheureusement tendance à faire un raccourci dramatique et à considérer que le péché est le non-respect de la Loi. Or comme l’écrivait jadis Paul BEAUCHAMP : « La loi est précédée par un "Tu es aimé" et suivie par un "Tu aimeras". "Tu es aimé" : fondation de la loi, et "Tu aimeras" : son dépassement », en ajoutant : « Quiconque abstrait la loi de ce fondement et de ce terme, aimera le contraire de la vie, fondant la vie sur la loi au lieu de fonder la loi sur la vie reçue »[1]

Le péché n’est donc pas l’infraction mais le refus de l’Amour. C’est donc que le péché s’inscrit dans une relation, et que c’est l’Amour de Dieu qui est premier. Cette évidence a deux conséquences :

  • Si je ne fais pas l’expérience de l’amour de Dieu, je ne peux avoir conscience de mon péché ;
  • Je ne peux parler du péché qu’à la première personne, il y a grand danger à parler du péché de l’autre.

Dans le livre de la Genèse, le récit du péché nous dit que la racine en est la jalousie. Dans le jardin la relation de confiance de la créature vis-à-vis de son créateur est fissurée par la jalousie instillée dans le récit par le serpent : « alors Dieu a dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » Le tentateur suggère que le créateur veut garder jalousement pour lui sa condition de Dieu. A la mise en garde que la transgression de l’interdit conduit à la mort, il rétorque : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » L’interdit n’était que le garde-fou qui nous rappelle à notre juste place. La jalousie que l’insinuation du tentateur projette sur le créateur, conduit à refuser la condition de créature, à prétendre être à soi-même sa propre origine. L’arbre de la connaissance du bien et du mal n’est que symboliquement l’arbre de l’interdit dont la transgression signe la prétention à prendre la place du créateur. Cette prétention produit la mort, nous en faisons dramatiquement l’expérience, et les deux dernières encycliques du Pape François nous le rappellent avec force, qu’il s’agisse du rapport à la création ou des relations entre les hommes. Le récit de la Genèse nous dit que la jalousie est la racine du péché (cf. lettre de Jacques 1, 14-15) et que l’origine du péché est extérieure à l’Histoire, qu’il n’est pas historiquement soluble : la blessure de notre relation de confiance au Créateur est constitutive de notre humanité. Seul le Fils est sans faille dans la confiance au Père, même si la tentation manifeste la possibilité qu’il en fût autrement, mais elle n’a précisément trouvé en lui aucune prise. Il en va autrement pour ce qui nous concerne : la confiance est une ligne de crête, une posture fragile, jamais acquise. Se recevoir d’un autre, c’est l’attitude du Fils, Celui qui précisément en réponse au soupçon instillé par le tentateur « ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il se dépouilla lui-même, devenant obéissant jusqu’à la mort de la croix » (Philippiens 2, 6-8).

Plus notre conscience de l’Amour infini de Dieu augmente, plus notre conscience de notre péché s’affine. C’est ainsi que les plus grands saints sont aussi ceux qui ont la conscience la plus aigüe de leur péché : ce n’est ni de la fausse modestie, ni de la coquetterie, c’est juste qu’ils voient avec plus d’acuité ce que nous considérons à tort comme négligeable. Dans un texte considéré comme son testament Christian de Chergé, prieur de Thibirine, écrivait : « J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui-là qui me frapperait aveuglément ». Nous sommes mystérieusement solidaire à la fois dans le registre de la grâce et dans celui du péché, c’est ce qu’on appelle la « communion des saints ». Simone WEIL écrivait : « Un seul être s’élève et tout est élevé, un seul être s’abaisse et tout est abaissé » (La pesanteur et la grâce). Il est tentant devant le mal, de chercher un coupable et de porter un jugement sur d’autres comme la frontière entre le bien et le mal passait entre nous et eux. Mais céder à cette tentation, c’est seulement ajouter encore au malheur du monde. La seule question juste, c’est « pourquoi ne suis-je pas meilleur ? ». Tout le reste vient du mauvais…

Car tout ce qui abîme en nous l’image de Dieu, tout ce qui détruit la création, tout ce qui blesse la fraternité entame l’Alliance que Celui que Jésus appelait Père, a voulu établir avec nous. Comme l’écrit Jean dans sa première lettre (1, 10) : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous faisons de lui un menteur, et sa parole n’est pas en nous », mais (3, 20) « si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses ». Si la révélation de la miséricorde de Dieu nous permet de prendre la mesure de notre péché, c’est sur Lui et sa miséricorde qu’il importe de garder les yeux fixés sans être obsédés par le péché.

Enfin, s’il est dangereux de parler du péché des autres, l’évangile nous dit cependant : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins » (Mt 18, 15-16). C’est dans une relation fraternelle, sous le signe de l’Alliance, que cette invitation peut être entendue. Il ne s’agit donc pas de porter un jugement sur l’autre, mais d’entendre l’invitation à réparer la fraternité quand je suis témoin qu’elle est entamée par le rejet de l’Alliance. Seul le témoignage de la miséricorde pourra y parvenir…

 

[1] Paul Beauchamp D’une montagne à l’autre, La Loi de Dieu, Paris, Seuil, 1999, p. 109.

 

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