Je voudrais souligner trois points dans les textes que nous venons d’entendre.

D’abord dans la première lecture du livre d’Habacuc. Ce livre date de la fin du 7ème siècle avant le Christ, il y a plus de 2600 ans, et ce prophète était confronté au même problème que Job ou l’auteur de certains psaumes, au même problème que beaucoup de nos contemporains, nous-mêmes probablement : le juste et l’innocent souffrent et les méchants prospèrent ! Alors il interroge Dieu, qu’il croit juste et bon : « Combien de temps, Seigneur, vais-je t'appeler au secours, et tu n'entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! Pourquoi m'obliges-tu à voir l'abomination et restes-tu à regarder notre misère ? » La question reste d’actualité. Les migrants naufragés à Lampedusa doivent se la poser.

Ensuite dans l’épître de Paul à Timothée : Chacune, chacun de nous qui a reçu le baptême peut entendre pour elle, pour lui cette parole : « tu dois réveiller en toi le don de Dieu que tu as reçu quand je t'ai imposé les mains ». Et aussi ce qui suit : « ce n'est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d'amour et de raison »

Enfin cette finale de l’évangile qui peut nous sembler rude à entendre : « quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous: 'Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir.' » Pourtant elle fait écho à la prière scoute que nous chantions encore hier soir : « Seigneur Jésus apprenez-nous à être généreux… sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons votre sainte volonté ».

Comment mettre en relation ces trois questions que la liturgie de ce jour met en résonnance : pourquoi le juste souffre alors que le méchant s’en tire bien ? Que faisons-nous de la grâce que nous avons reçue ? Comment accueillir l’invitation à nous donner sans espérer en tirer d’autre profit que la joie d’être là où nous devons être ?

La question des apôtres à Jésus revient alors au premier plan : «Augmente en nous la foi ! » et la réponse peut nous surprendre : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : 'Déracine-toi et va te planter dans la mer', et il vous obéirait. »

Si nous ne négligions pas la grâce que nous avons reçue à notre baptême, si nous vivions plus cette prière scoute que nous chantons souvent sans trop réfléchir à ce qu’elle contient, le méchant prospérerait-il moins, le juste et l’innocent souffriraient-ils moins ?

Le chemin que nous montre Jésus, c’est que Dieu lui-même a pris la place du juste qui souffre et prend sur lui nos manques de foi, nos infidélités, et qu’il nous aime jusqu’à donner sa vie pour nous. C’est cela et cela seulement qui fait que l’esprit que nous avons reçu n’est pas un esprit de peur mais de force et d’amour, comme l’écrit Paul à Timothée.

C’est parce que Dieu nous a aimés le premier et qu’il nous a montré que son amour ne nous lâchera jamais, que nous pouvons éprouver de la joie à être comme des serviteurs quelconques, à être simplement là où nous devons être, sans en espérer ni mérite ni récompense, mais simplement heureux de répondre à l’amour dont nous avons été comblés. Cette joie depuis cet été, je l’éprouve personnellement en prison où à longueur de journée j’essaye maladroitement de signifier fraternellement à ceux que je rencontre et qui souvent ne se jugent plus aimables, plus pardonnables, que Dieu ne nous laisse jamais tomber, quoi que nous ayons pu faire. Il ouvre toujours un possible devant nous et nous propose de réveiller le meilleur de nous-même, à l’image du don de Dieu que nous avons reçu.

Cela vaut aussi pour chacune et chacun d’entre nous. Nous avons hier célébré les passages de celles et ceux qui changent d’unité, qui arrivent ou qui partent vers de nouveaux horizons. Pour vous toutes et tous, quelles que soit votre situation, le meilleur de vos vies est devant vous. Quand j’étais enfant, je mangeais toujours en commençant par ce que j’aimais le moins, et je disais : « je garde le meilleur pour la fin ». Pourtant, au nom du Christ, je vous invite à révéler aujourd’hui le meilleur qui est en vous, n’attendez pas la fin pour donner le meilleur de vous-même, réveillez la grâce que vous avez reçue.

Vous avez sans doute déjà entendu cette expression latine : « Carpe diem » cueille le jour présent ! Et nous l’entendons facilement dans le sens de goûter aujourd’hui autant de plaisir que possible. Mais je vous invite à l’entendre dans un sens plus positif : saisissez l’occasion qui vous est offerte ici et maintenant de donner le meilleur de vous-même. N’attendez pas demain. C’est aujourd’hui que le monde a besoin de votre engagement. C’est aujourd’hui que vos frères ont besoin de vous. C’est aujourd’hui que Dieu vous appelle à réveiller la grâce qu’il a déposée au fond de vous !

Année C, 27ème dimanche du Temps Ordinaire : Ha 1, 2-3; 2, 2-4 ; 2Tm 1, 6-8.13-14 ; Lc 17, 5-10