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Le blog de Bruno LACHNITT

Fête du Christ Roi Année B Jean 18, 33-37

22 Novembre 2009 , Rédigé par Bruno LACHNITT Publié dans #Homélies

 

Nous fêtons aujourd'hui le Christ Roi, cette fête dont l'instauration par Pie XI ne fut pas exempte d'un certain cléricalisme résistant face à la sécularisation en marche. Le règne du Christ identifié à celui de l'Église peut nous inspirer une certaine méfiance et nous sembler loin de la déclaration de Jésus à Pilate selon laquelle « son royaume ne vient pas de ce monde ».

La question est précisément de savoir comment comprendre « pas de ce monde ». S'agit-il d'un royaume qui serait dans un autre monde ou d'un royaume dans ce monde mais pas à la manière du monde? Si les prophètes ont dressé un bilan pour le moins mitigé de la royauté en Israël, ils ont néanmoins repris à leur compte l'espérance d'un roi qui apporte au peuple la joie, la paix et la justice. L'espérance messianique s'est inscrite dans la lignée de David où les évangélistes eux mêmes inscrivent Jésus. En ce sens la royauté qu'il endosse n'est pas totalement déconnectée du monde.

C'est au Père que le Christ nous a appris à dire chaque jour « que ton règne vienne! », et le Père est le Maître du monde puisqu'il en est le créateur et le maintient dans l'être. Mais ne dit-on pas aussi que Dieu crée le monde comme la mer crée la plage, en se retirant? Et le livre de la Genèse nous dit qu'il a confié cette création à sa créature, l'homme, pour qu'il la soumette. L'homme règne donc sur la création comme le chante le psaume 8(6-7): « Tu l'as voulu un peu moindre qu'un dieu, le couronnant de gloire et d'honneur ; tu l'établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toutes choses à ses pieds. »

Nous savons bien que si Dieu régnait sur le monde, il aurait un autre visage. Le nouveau testament ne cesse de nous répéter que ce monde est au pouvoir de Satan. Et l'homme lui-même ne contribue que trop à cet état de fait. Nous entendons tous les jours que la manière dont l'homme règne sur la création la met en péril.

Tout au long des pages de l'évangile de Marc qui nous a accompagnés pendant l'année liturgique qui s'achève aujourd'hui, nous avons vu Jésus revisiter la tradition de cette espérance pour endosser à sa manière les habits royaux. La différence entre être roi à la manière du monde et l'être à la manière de Dieu, le Christ lui-même nous en donne la clé lorsque les fils de Zébédée revendiquent de siéger l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, dans sa gloire : « Vous le savez : ceux que l'on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous... » (Marc, 10, 42-45)

Dans la seconde semaine des exercices spirituels, Ignace de Loyola nous propose une méditation sur deux étendards, dans laquelle ce sont précisément les deux façons d'être roi qui sont mises en scène comme dans un combat de catch, pour notre profit spirituel : d'un côté, le Prince de ce monde, dont les lieutenants « commandent en maîtres » et « font sentir leur pouvoir », et de l'autre, le Christ, « en humble place » dit Ignace, et qui invite à prendre la dernière place. Un roi inattendu quoique tant attendu, mais différent, pour un royaume déroutant. Si le chemin de l'incarnation est déjà comme le dit Paul aux Philippiens, un abaissement, « Jésus de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu », l'homme Jésus dut inventer son chemin comme chacun de nous, en revisitant la tradition dont il était nourri. Et force est de constater que cette relecture, attestée par le récit des pèlerins d'Emmaüs : « et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les écritures ce qui le concernait », l'a conduit à se mettre en tenue de service. Ce paradoxe apparent est en fait une logique profonde du règne de Dieu: toutes les paraboles sur le royaume de Dieu dans les évangiles nous parlent d'un avènement sans triomphe: comme le levain dans la pâte, comme un trésor caché dans un champ. Paradoxe que l'homme soit invité à soumettre la création quand le règne de Dieu ne s'impose pas mais advient subrepticement pour autant que nous sachions l'accueillir.

Ainsi le règne du Christ ne peut-il être que celui que nous lui consentons dans nos cœurs car ce n'est que par nous qu'il peut régner sur l'univers pour autant que la façon dont nous même le soumettons soit bien ordonnée: « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » écrit Paul aux Théssaloniciens.

Paul dans l'épître aux Philippiens fait d'ailleurs un lien de causalité entre l'abaissement et l'exaltation que nous fêtons aujourd'hui. « Il s'est dépouillé, prenant la condition d'esclave... C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé...afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse... et que toute langue proclame que le Seigneur, c'est Jésus-Christ. » La proclamation de la royauté sur l'univers de l'un de nous, « comme un fils d'homme » dit le texte de Daniel, n'est pas sans importance alors que nous avons aujourd'hui une conscience aigüe de la fragilité de l'homme. L'échelle de temps que nous connaissons de la création et de l'apparition improbable de notre petite planète et de sa durée de vie, la conscience de l'immensité de l'univers sont autant d'éléments qui peuvent nous conduire à percevoir l'homme comme un phénomène incertain et fragile. La Foi au Christ met l'homme au centre de l'univers.

Mais n'oublions jamais que la seule juste place à partir de laquelle on puisse sans trop de dommages parler du règne du Christ, c'est la dernière, celle qu'il nous invite à tenir à sa suite. Tant que nous comprendrons le règne du Christ comme l'extension de la religion qui se réclame de lui en concurrence avec les autres, nous contribuerons sans doute plus à son recul qu'à son avènement.

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