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Le blog de Bruno LACHNITT

Année C 24ème dimanche ordinaire

11 Septembre 2022 , Rédigé par Bruno LACHNITT Publié dans #Homélies

 

La liturgie de ce dimanche nous donne à entendre l'ensemble du chapitre 15 de l’évangile de Luc et quoiquil soit long, je nai pas pris la lecture brève parce quil y a une cohérence entre ces 3 paraboles, qui répondent toutes trois aux murmures des pharisiens et scribes : « cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ». Le texte dit pourtant que ce sont les collecteurs d'impôts et les pécheurs qui font bon accueil à sa parole et « s'approchaient tous de lui pour l'écouter ». Dans les trois paraboles, il est chaque fois question de perdu-retrouvé et de fête : « Je vous le déclare, c'est ainsi qu'il y a de la joie dans le ciel (ou chez les anges de Dieu), pour un seul pécheur qui se convertit… ».

Les trois récits sont donc apparemment parallèles. Mais le troisième se distingue cependant à quelques indices. Les deux premiers évoquent le bon sens : « lequel d'entre vous ou encore quelle femme… ? ». Il s'agit là d'évidence, n'importe qui ferait pareil. Le troisième ne dit pas une situation commune mais raconte une histoire. Et si les deux premières paraboles se terminent avec évidence sur la fête, la troisième met en scène un « trouble-fête ».

L'histoire commence avec une rupture dun fils cadet avec son père, rupture qui intervient à la suite de la revendication de sa part d'héritage. Ce faisant, il met son père en dehors de sa vie, il fait en quelque sorte comme sil était mort, il rompt la filiation. Quand il a tout dépensé, le texte parle de « famine », « se remplir le ventre », « je meurs de faim ». L'héritage ayant fondu, c'est objectivement le pain qui manque. Or « combien d'ouvriers de [son] père ont du pain de reste ? ». Mais lhéritage ayant fondu, il nest plus possible de faire marche arrière. Si le père peut garantir le pain, vous admettrez quil serait plus que douteux qu'au moment où le pain manque, brusquement, le père se mette à manquer. En déclarant, « je ne suis plus digne d’être appelé ton fils », en concevant d'être traité « comme un de [ses] ouvriers », c'est donc dans une démarche de vérité qu'il va vers son père.

Mais la pointe du récit est du côté du père. « Comme il était encore loin, son père l'aperçut et fut pris de pitié : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers… ». Le père restaure la filiation mais elle est totale gratuité, cadeau,  sans proportion avec quelque mérite, elle n'est surtout l'objet d'aucune revendication. Mais c'est précisément parce qu'elle n'est l'objet d'aucune demande qu'elle peut être totale gratuité. Un cadeau, par définition, ça ne se revendique pas, ce nest pas un dû. On peut se demander si lamour nest pas par nature un cadeau. Peut-on exiger de lautre quil nous aime ? Parce quil ne réclame rien, le fils cadet est en position de recevoir cette gratuité. « Et ils se mirent à festoyer ».

Alors l'aîné revient des champs. Lui pense avoir des mérites à faire valoir. Rien de pire que lapparente fidélité qui donne lillusion daccumuler des mérites car elle rend imperméable à la grâce. Il nest donc pas en positon de recevoir un don gratuit. Mais ne peut-il le comprendre ? Nous avons été avertis par les deux premières paraboles : « Lequel d'entre vous, quelle femme… ? », n'importe qui ferait pareil !

Et « s'il y a de la joie chez les anges de Dieu », il est singulier que les justes fassent la tête. A moins que cette justice ne soit qu'apparence et que cette position de trouble-fête en manifeste le mensonge. Quand il y a de la joie chez les anges de Dieu, il est « malheureux » d'être trouvé en position de trouble-fête. "Malheureux êtes-vous pharisiens hypocrites..." lisions-nous il y a quelque semaines au chapitre 11.

         Tout le récit tourne autour de la relation au père. Dans le discours de l'aîné, cette relation joue comme mérite, mais la fidélité résonne ici du côté du paraître et dès lors que la relation au père est mensonge, la relation au frère est jalousie.

         Mais si la relation au père fonctionne sur le registre du mérite, c'est déjà le fait de la jalousie. On a toujours tendance à penser que c'est parce qu'on est mieux que lautre qu'on doit être préféré. Les apôtres se disputaient déjà au chapitre 9 pour savoir 'qui est le plus grand'. Les enfants connaissent bien ce genre de rivalité, qui peut prendre des formes diverses, mais sans doute pas seulement les enfants. Pour clore ce débat, il reste à trouver un pauvre type sans illusion qui sache accueillir une gratuité sans s'y croire, sans « se la péter » comme disent les jeunes. Ici, on l'a trouvé du côté des collecteurs d'impôts et des pécheurs qui s'approchaient tous de Jésus pour l'écouter. Et « il y a de la joie chez les anges de Dieu »…

Alors en méditant ces textes mest revenue à l'esprit une phrase de Roland BARTHES dans un livre sur Racine, en commentant Britanicus. Parlant de Néron qui a empoisonné sa mère, BARTHES écrit : "l'ingratitude est la forme obligée de la liberté". C'est tout l'enjeu de l'épisode de la première lecture dans le livre de lExode: la reconnaissance du don de l'acte originaire de la liberté, la sortie d'Egypte. Et le péché du peuple n'est pas seulement de se vautrer devant une statue faite de mains d'homme, mais surtout de dire en désignant l'idole : "Voici tes dieux qui t'ont fait sortir du pays d'Egypte". Et Dieu lui-même dit à Moïse : "ton peuple s'est perverti, lui que tu as fait monter du pays d'Egypte", comme si le don avait besoin d'être reconnu pour exister, et c'est le don qui fonde l'Alliance. C'est le choix décisif devant lequel est placé chacun d'entre nous: la liberté est elle en concurrence avec la grâce ou s'accomplit-elle par la grâce. Dit autrement : la liberté peut-elle s'épanouir dans la reconnaissance, en se recevant d'un autre, ou l'autre est-il une menace pour ma liberté, et de fait l'ingratitude en serait la forme obligée. La réponse de Paul dans la deuxième lecture est claire : "Je suis plein de reconnaissance pour celui qui me donne la force, Jésus Christ notre Seigneur, car il m'a fait confiance en me chargeant du ministère, moi qui autrefois ne savais que blasphémer, persécuter, insulter." Lui prend la place du pauvre type qui sait accueillir une gratuité, et "il y a de la joie chez les anges de Dieu". Mais un monde où l'ingratitude l'emporte sur la reconnaissance, est un monde où domine la jalousie, un monde déchiré entre dominants et dominés, gagnants et perdants. Pour faire un monde de frères, ne faut-il pas se recevoir du Père à l'image du Christ ? N'est-ce pas ce qu'ensemble, en Eglise nous sommes appelés à signifier ?

 

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