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Le blog de Bruno LACHNITT

Année C, 31ème dimanche ordinaire

1 Novembre 2022 , Rédigé par Bruno LACHNITT Publié dans #Homélies

« Seigneur, tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés pour qu’ils se convertissent. Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres, car tu n’aurais pas créé un être en ayant de la haine envers lui ». Un premier effet de cette révélation de la première lecture que nous avons entendue, est que tout ce qui en nous est de l’ordre de la répulsion envers quelque créature que ce soit, ne vient pas de Dieu, n’est pas l’œuvre de l’Esprit en nous. Qu’un être soit défiguré par quelque handicap que ce soit, abîmé par la pauvreté, la rue, qu’il soit étranger, malade, ou qu’il ait commis le pire, le plus odieux des crimes, rien de ce qui en nous ressemble à du dégoût de l’autre ne peut venir de Dieu.

Et l’on voit bien qu’on ne contribue pas à construire le même monde, selon qu’on sait qu’on est de la même pâte que ceux pour lesquels on serait tentés d’éprouver du dégoût, ou selon qu’on place notre identité dans ce qui nous distingue, dans ce qui nous sépare. Et nous pouvons alors comprendre ce que nous appelons dans l’Eglise, l’option préférentielle pour les pauvres. Une légende raconte qu’un jour, un Calife fit venir un homme très simple, dont on lui avait dit qu'il était un sage. Pour éprouver cette sagesse, le Calife lui posa cette question : "On me dit que tu as de nombreux enfants ; veux-tu m'indiquer de tes enfants lequel est le préféré ?" Et l'homme de répondre : « Celui de mes enfants que je préfère, c'est le plus petit, jusqu'à ce qu'il grandisse, celui qui est loin, jusqu'à ce qu'il revienne, celui qui est malade, jusqu'à ce qu'il guérisse, celui qui est prisonnier, jusqu'à ce qu'il soit libéré, celui qui est éprouvé, jusqu'à ce qu'il soit consolé ». Dieu est comme cela, lui qui n’a de répulsion pour aucune de ses œuvres, a un amour de prédilection pour celles et ceux qui nous inspirent de la répulsion. Comme n’importe quelle mère ferait avec ses enfants, pour protéger le fragile, donner plus d’amour à celui qui en est le moins pourvu par ses frères. Dieu préfère ceux que nous aimons le moins, ceux que nous ne savons pas aimer. Traverser le dégoût pour devenir frère est une expérience baptismale.

Mais quand nous aurons converti en nous ce qui est de l’ordre de la répulsion, dépassé nos peurs, lâché cette identité illusoire placée dans ce qui nous sépare, nous risquons alors d’être menacés par le dégoût vis-à-vis de ceux qui ne font pas ce chemin, d’être tentés de nous croire du bon côté, celui des pauvres, et reconstituer ainsi un nouveau pharisaïsme, une frontière rassurante entre les bons, dont nous serions, et les impies, les sans foi, les exploiteurs, les profiteurs sur le dos des petits, comme ce Zachée, petit bonhomme corrompu chez qui Jésus s’invite.

Et ce n’est sans doute pas un hasard si dans le texte de la sagesse, l’affirmation que Dieu n’a de répulsion pour aucune de ses œuvres, voisine avec celle de sa miséricorde envers les pécheurs. Car il y a bien des façons de rendre grâce de « n’être pas comme les autres hommes », à l’image du pharisien de la parabole que nous entendions dimanche dernier. Et ce à quoi nous sommes invités est précisément l’inverse : rendre grâce de ce que nous partageons avec tout homme, car cela seul qui nous est commun mérite d’être cultivé, et le reste n’a de sens que d’y être ordonné.

Chez Luc « manger et boire avec les publicains et les pécheurs » est comme un leitmotiv, un fil conducteur, une catégorie à travers laquelle on peut lire l’ensemble de son évangile. C’est une particularité de l’évangile de Luc. Et ici encore, dans ce passage que nous venons d’entendre : « tous récriminaient : Il est allé loger chez un pécheur ! » Et Jésus de dire : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison ». Quand l’élection est comprise comme un privilège dans une clôture jalouse, le salut fait irruption en marge de l’élection, rappelant l’inconditionnalité et la gratuité du don de Dieu. Et les publicains et les pécheurs venaient tous à lui pour l’écouter, et il y a de la joie chez les anges de Dieu alors que ceux qui croient accumuler des mérites font la gueule. Et en prison, nous pouvons être les témoins privilégiés de cela si nous savons nous réjouir de ce que, comme nous le dit Jésus, les prostituées et les pécheurs nous précèdent dans le Royaume de Dieu. Quels sinistres aumôniers nous serions, si comme le pharisien de dimanche dernier, nous ressortions de prison le soir en rendant grâce de n’être pas comme ceux que nous avons rencontrés : violeurs, assassins, escrocs… Nous sommes bien frères, partageant cette commune condition de pécheurs pardonnés. C’était d’ailleurs la réponse du Pape François lors de sa première interview après son élection, lorsqu’on lui demanda qui il était. Il répondit : « je suis un pécheur pardonné ! » Comme Zachée, celles et ceux que nous visitons, nous révèlent la gratuité du don de Dieu, parce qu’ils sont dans la position d’accueillir un cadeau sans illusion sur les mérites qu’ils auraient à faire valoir. C’est pour cela que l’Eglise à besoin de la prison pour entendre l’évangile, pas pour se servir de la prison pour espérer accumuler des mérites. Comme nous le disait Saint-Vincent-de-Paul, « ceux que l’on appelle des misérables, ce sont eux qui nous doivent évangéliser ». Et quand nous n’aurons plus d’illusion sur quelque mérite que nous pourrions faire valoir, plus de dégoût ni de répulsion pour quiconque, nous serons enfin devenus frères, artisans de paix, suffisamment dépouillés pour avancer libres et confiants vers Celui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Amen !

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