Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bruno LACHNITT

Année A 8ème ordinaire : Is 49, 14-15 ; 61, 2-3, 8, 9 ; 1 Co 4, 1-5 ; Mt 6, 24-34

25 Février 2017 , Rédigé par Bruno LACHNITT Publié dans #Homélies, #homelies

L’exigence littérale de cet appel à ne pas nous soucier de ce que nous mangerons, de quoi nous nous vêtirons peut nous laisser désemparés. L’insouciance passe difficilement pour une vertu dans une société où la gestion du risque est devenue un marché. Et à part le pauvre d’Assise et quelques autres dans l’histoire de l’Eglise, peu de gens ont pris à la lettre ces recommandations. Un assez beau film sorti il y a deux mois, « l’ami » raconte la tension entre François d’Assise et ses frères face aux exigences de l’institution pour laquelle cette radicalité était irrecevable. La radicalité, elle a mauvaise presse aujourd’hui et la consonance avec radicalisme, radicalisation jette le soupçon sur toute radicalité au nom de la Foi. J’entends bien autour de moi cette condescendance à cultiver nos « croyances » dans la sphère privée mais avec modération. Mais la Foi n’est pas de l’ordre des « croyances », elle est remise radicale de sa vie entre les mains d’un Autre, mise en route sur la parole d’un autre. Et la confiance est forcément radicale : on fait confiance ou pas. On lâche prise ou pas, on lâche le bord de la piscine quand on apprend à nager, on a confiance que l’eau va nous porter ou pas. Et si l’on a confiance que l’eau va nous porter, c’est sur la parole d’un autre qu’on s’appuie. La seule radicalité à laquelle nous invite finalement l’évangile, c’est celle du dépouillement et du service du frère. Et c’est sur la parole d’autres qui nous précèdent sur ce chemin qu’on s’appuie pour engager ou pas notre vie dans cette direction, croire que c’est par-là que nous trouverons la vraie vie et la joie.

La pointe de cette page d’évangile est au début : « nul ne peut servir deux maîtres » puisque la suite est introduite par « c’est pourquoi je vous dis… ». Il se peut que d’autres que Dieu, gouvernent nos existences et que Dieu, le seul maître qui rende libre, ne ramasse que des miettes. Jeanne d’Arc disait à son roi « Dieu premier servi, messire ! » « Dieu premier servi », c’est une question de hiérarchie, et beaucoup de choses peuvent faire écran entre Lui et nous dès lors qu’elles ne sont pas à leur juste place. On dit de l’argent qu’il est un mauvais maître, mais un bon serviteur. Mais au service de quoi sommes-nous nous-mêmes, au service de quoi mettons-nous l’argent que nous pouvons avoir ? Nous avons entendu il y a quinze jours l’invitation, si notre frère a quelque chose contre nous, à d’abord aller nous réconcilier avec lui avant de présenter notre offrande à l’autel. Notre argent fait sans doute partie de ce que nos frères les plus pauvres ont légitimement contre nous, surtout quand cet argent devient notre maître.

 « Dieu premier servi », c’est donc la condition pour que tous les autres soient correctement servis, chacun à sa place, précisément parce que le service de Dieu libère pour le service des frères, et ne lui fait pas concurrence. Il appartient à chacun de nous de peser dans le secret de son cœur, qui ou ce qui gouverne notre vie et quel ordre nous devons y mettre…

Parfois la contingence nous convoque malgré nous à la radicalité. Je pense à une amie atteinte d’une maladie rare qui risque à tout instant un grave accident vasculaire et est contrainte d’apprendre la confiance et la joie avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. L’invitation de l’évangile de ce jour fait écho à celle de l’évangile d’hier à accueillir le royaume de Dieu comme un enfant. Un très beau documentaire d’Anne-Dauphine JULLIAN vient de sortir : « Et les mistrals gagnants ». On y voit vivre et témoigner des enfants atteints de maladies lourdes, dont certains sont condamnés à assez court terme. L’un deux dit : « la maladie, ça n’empêche pas d’être heureux ». Et il ajoute : « je crois qu’il n’y a rien qui peut empêcher d’être heureux ! ». Accueillir à chaque instant la vie comme une promesse, c’est sans doute quelque chose comme cela cette confiance à laquelle nous sommes invités.

C’est peut-être par là qu’il faut chercher le lien avec la première lecture si courte d’Isaïe mais si pleine de promesse : « je ne t’abandonnerai jamais ». Ce lien, je le retrouve chez Etty HILLESUM, cette jeune femme juive inclassable dont le journal témoigne d’un chemin spirituel étonnant. Elle a fait en connaissance de cause le choix de partir pour un service d’assistance sociale aux personnes en Transit dans le camp de Westerbork, c’est une espèce de Drancy hollandais. Elle n’en reviendra jamais : déportée le 7 septembre 1943 à Auschwitz, elle y mourra le 30 novembre. Quinze jours après son arrivée dans le camp, pleinement consciente de ce qui l’attend, elle écrit : « Il y a des gens (…) qui au dernier moment tâchent à mettre en lieu sûr des aspirateurs, des fourchettes et des cuillers en argent, au lieu de te protéger toi, mon Dieu. Et il y a des gens qui cherchent à protéger leur propre corps, qui pourtant n’est plus que le réceptacle de mille angoisses et de mille haines. Ils disent : « Moi, je ne tomberai pas dans leurs griffes ! » Ils oublient qu’on n’est jamais dans les griffes de personne tant qu’on est dans tes bras. »

N’est-ce pas finalement ce à quoi nous invite simplement cette page d’évangile : maintenir vive en nous cette conscience que nous sommes dans ses bras et mesurer toutes choses à l’aune de cette réalité ?

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article