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Le blog de Bruno LACHNITT

Dédicace de la Basilique du Latran : Ez 47, 1-2, 8-9, 12 ; Ps 45, 1 Co 3, 9b-11, 16-17 ; Jn 2, 13-22

15 Novembre 2014 , Rédigé par Bruno LACHNITT Publié dans #Homélies

Les textes de la liturgie de ce jour, dédiée à la dédicace de la Basilique du Latran, nous parlent du Temple, et ce mot évoque une topologie de la présence divine qu’on pourrait décliner en quatre lieux symboliques : Jérusalem, du moins son temple ; en second lieu le corps du Christ qui est l’Eglise ; puis nous-mêmes qui en sommes les pierres vivantes et le temple de l’Esprit ; et enfin en dernier lieu le pauvre, l’exclu, pierre d’angle de l’édifice : la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, nous dit le psaume 117.

Le premier lieu est bien sûr Jérusalem. On peut se demander de quel Temple nous parle la vision d’Ezéchiel. Celui dont parle Jésus a été construit par Hérode. Il en reste aujourd’hui le mur occidental devant lequel on vient prier du monde entier : toutes les nations afflueront vers toi, dit le psalmiste à propos de Jérusalem. C’est ce temple, dont les trois évangiles synoptiques racontent que Jésus annonce la destruction et qui sera effectivement détruit par les Romains en l’an 70, après la révolte des juifs. C’est pourquoi d’ailleurs rien n’a été construit par les chrétiens à cet emplacement lorsqu’ils occupèrent Jérusalem, ce vide devant attester de l’accomplissement de la prophétie de Jésus. C’est vers ce lieu où aurait été déposée l’Arche d’Alliance, le Saint des Saints, lieu par excellence de la présence de Dieu au milieu de son peuple, que se tournent les juifs qui prient devant le mur qu’on appelle à tort « mur des lamentations », ce lieu recouvert aujourd’hui par la mosquée du Dôme du rocher, car c’est aussi le mont Moriah, où la tradition situe le sacrifice interrompu d’Isaac pour les juifs, d’Ismaël selon le Coran. Ce lieu où la tension est palpable cristallise le conflit qui enflamme le Moyen-Orient, l’actualité en faisait encore écho ces derniers jours. La géographie de la vision d’Ezéchiel Jérusalem, le Jourdain, la mer Morte nous rappelle en effet une réalité politique où la référence à Dieu est prise en otage d’une guerre fratricide.

Jésus quant à lui ne méprise pas le Temple : il y monte et y fait le ménage avec autant d’ardeur qu’il a de respect pour le lieu : « la maison de mon père », et ses disciples se rappellent cette parole de l’écriture : « L’amour de ta maison fera mon tourment ». Mais en même temps son propos déplace le lieu de la présence divine puisqu’il désigne son propre corps quand il parle de rebâtir le Temple en trois jours. Et il ne peut en être autrement depuis Noël : Il a habité parmi nous, il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reconnu. Relisons le prologue de Jean : la présence de Dieu n’est plus dans le saint des saints depuis qu’il a passé par les routes de Galilée, et l’évangéliste Matthieu nous rapporte qu’au moment où Jésus rend l’esprit, le voile du Temple se déchire, signant ainsi la rupture définitive avec cette forme de présence.

Quand on se rend sur les lieux saints à Jérusalem et notamment au Saint Sépulcre où cohabitent tant bien que mal les différentes Eglises, on éprouve que c’est pour nous, chrétiens, un lieu vide, parce que notre Foi repose sur l’événement de la résurrection du Christ et que sa présence n’est pas dans les pierres, quelles qu’elles soient, mais dans les hommes : ce que dit Paul dans la deuxième épître aux Corinthiens que nous lisions aux Vêpres de la Toussaints il y a huit jours : « Nous sommes, nous, le temple du Dieu vivant comme Dieu l’a dit : Au milieu d’eux, j’habiterai et je marcherai ». Et aujourd’hui dans la première épître aux mêmes Corinthiens que nous venons d’entendre il dit : « N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira ; car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous ». C’est donc le troisième lieu que l’évocation du temple nous invite à considérer. Et ceux auxquels Paul dit cela, ce sont les mêmes auxquels il s’adresse au chapitre premier : « Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l'appel de Dieu : il n'y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille. Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n'est pas, Dieu l'a choisi pour réduire à rien ce qui est... »

La phrase de Paul : vous êtes le temple de Dieu et l’esprit de Dieu habite en vous, nous indique bien sûr qu’en vertu du baptême que nous avons reçu, le Temple du corps du Christ, c’est désormais l’Eglise dont la mission est de révéler au monde que tout homme est le temple de Dieu, d’être témoin de cette bonne nouvelle, nourrie de cette présence singulière que nous allons accueillir tout à l’heure dans l’eucharistie. Mais nous pourrions avoir un rapport idolâtre à cette présence-là, si nous en restions là. Car cette présence du Christ dans l’Eglise et l’eucharistie est elle-même articulée à une autre présence que St Jean Chrysostome, docteur de l’Eglise et patriarche d’Orient appelait le « sacrement du frère » : « Celui qui a dit : Ceci est mon corps, (…) c’est lui qui a dit : Vous m’avez vu avoir faim et vous ne m’avez pas nourri, et : Ce que vous n’avez pas fait pour l’un de ces petits, pour moi non plus, vous ne l’avez pas fait (Mt 25, 42-45) ». Et St Jean Chrysostome ajoute : « Tout en décorant la maison [de Dieu], ne méprise donc pas ton frère dans la détresse, car il est lui-même un temple plus précieux qu’elle ».

C’est donc le quatrième lieu auquel nous renvoie l’évocation du Temple : le pauvre, le rejeté. Si nous l’oublions, notre rapport aux autres lieux évoqués ne sera pas ajusté : c’est comme la clé de voute, la pierre d’angle. Et si cette pierre d’angle rejetée par les bâtisseurs est en premier lieu le Christ, elle est par le fait même ceux dans lesquels le Christ a voulu nous signifier sa présence. Saint Jean-Chrysostome nous met en garde face à une adoration d’autant plus zélée d’une modalité de la présence de Dieu que nous négligerions davantage cette présence qui nous déplace en ceux qui sont pauvres et rejetés de tous. Nous laisser décentrer par cette présence de Dieu en l’autre, c’est aussi nous protéger face à la tentation de circonscrire la présence de Dieu dans des lieux qui sont une porte ouverte sur une présence qui nous dépasse infiniment.

 

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