Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Bruno LACHNITT

Evénement pascal

23 Mars 2008 , Rédigé par Bruno LACHNITT Publié dans #Récits

Hier comme dans beaucoup de paroisses nous célébrions à la nuit tombée la Vigile pascale et deux catéchumènes recevaient le baptême. Depuis des années elles s'étaient préparées à ce moment décisif et elles étaient là entourées de leurs proches. Un homme est entré en claquant la porte de l'église comme en terrain conquis et a commencé à arpenter le fond puis s'est installé au dernier rang, a tenté de subtiliser un sac à main posé par terre, est allé plus loin perturber un autre paroissien en parlant un peu fort, et a ri ostensiblement en entendant l'oraison lue par le célébrant après la bénédiction de l'eau. Debout à côté du célébrant, surplombant l'assemblée, je suivais des yeux l'évolution de la situation et voyais l'embarras des paroissiens dérangés à ses côtés. Je pensais aussi aux deux catéchumènes dont la fête risquait de tourner court si la perturbation s'agravait.
Je descendais donc de l'autel et rejoignais notre homme, le prenais fermement par le bras en l'invitant à venir avec moi vers la sortie. Surpris il resista un peu mais m'accompagna quand même en parlementant, puis me dit "dehors je te casse la figure!" - "D'accord, on y va", lui dis-je. Il recupère des livres qu'il avait déposés près de l'entrée et nous arrivons à la porte. Là, nous discutons. Peut-être l'aube et l'étole ont-elles calmé son animosité, peut-être ma détermination l'a-t-elle ébranlé, qu'importe. Nous parlons un moment, lui réclamant de l'argent tout de suite, moi, consentant à l'éventualité de l'aider s'il revenait à la fin de la célébration, à condition qu'il ne perturbe pas la suite de la cérémonie. Finalement après avoir convenu de nous retrouver à la sortie vers 23 heures, il finit par partir et moi par rejoindre l'autel. Entre temps nos catéchumènes avaient été baptisés sereinement et nous pouvions aborder ensemble la liturgie eucharistique.
A la fin de la messe, mon "ami" était fidèle au rendez-vous. Je réussis à savoir qu'il s'appelait Arnaud, du moins est-ce ce qu'il me dit. Je le dépannais un peu, pas trop et restais un moment à parler avec lui qui tentait de "taper" vainement tous ceux qui sortaient, laissant mon épouse et nos filles revenir seules en voiture.
Plus tard, revenant à pieds sous la pluie, je méditais sur l'événement: cet homme en souffrance, manifestement déséquilibré, mais pas sot, dérangeant, envahissant, insistant, désagréable, n'était-il pas aussi le visage du Christ ? Et je repensais à cet hymne de la liturgie: "Frappe à ma porte, toi qui viens me déranger, frappe à ma porte, tu viens me ressusciter. Je ne sais ni le jour, ni l'heure, mais je sais que c'est toi, Seigneur !" Nous chantons assurément des choses bien subversives, et nous avons toujours du mal à nous prendre au mot de nos liturgies. Mais j'imagine mal un videur à la porte de l'église pour tenir loin de nos célébrations le pauvre en souffrance, qui bien sûr n'est ni convenable, ni poli, ni ajusté à notre rite. Alors ? Sans naïveté ni sentimentalisme, je crois avoir été dans mon rôle de diacre au sein de la liturgie en traversant la nef pour aller accueillir celui qui venait déranger et prendre le temps de l' "accompagner" vers la porte, non pour le jeter, mais en l'invitant à revenir. Avec un peu d'humour, les dix minutes passées avec lui à parlementer à la porte m'ont rappelé l'expression de "ministère du seuil", souvent utilisée pour parler du diaconat. C'était vrai au sens propre, et finalement, c'est une surprise inattendue de ce à quoi peut "servir" un diacre. Il est toujours difficile de trouver la juste mesure dans des situations d'accueil décalées comme hier soir, mais la concordance entre notre attitude et ce que nous célébrons doit toujours être un critère de discernement, car sauver la célébration en trahissant ce qui s'y joue serait la pire des choses.
Cela étant dit, l'accueil de l'autre requiert compétence et discernement. Il ne s'agit ni de céder au chantage, ni de lâcher de l'argent pour se débarrasser de lui. Oser une vraie rencontre, s'intéresser à l'autre sans peur, me semblent des éléments prioritaires pour essayer une attitude juste. Ma satisfaction en rentrant, c'est que je lui ai laissé plus de temps que d'euros, que nous avons pu convenir d'un rendez-vous parce que ma fermeté a été entendue, et que si fugitive soit cette rencontre, son prénom et son visage ne quitteront plus mon souci.
C'est pourquoi marchant sous la pluie, je goûtais avec une saveur particulière en cette nuit pascale le dernier couplet : "frappe à ma porte, toi, la misère du monde, frappe à ma porte le Dieu de toute ma joie ! "

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article